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Jean Dumonteil

La voie maçonnique, une spiritualité initiatique​

Dernière mise à jour : 28 mai 2021




Peut-on définir ce que serait une « spiritualité maçonnique » ?

La démarche maçonnique est un parcours personnel, c’est aussi une pratique de la fraternité initiante. L’initiation est au cœur de la démarche maçonnique de Tradition car la Franc-maçonnerie est d’abord un ordre initiatique.


Dans toutes les traditions du monde, les rites d'initiation sont des représentations symboliques de la mort et de la naissance. Sans trahir ici les rituels d’initiation maçonnique et sans dévoiler le déroulement de cette cérémonie qui doit rester une expérience intime et inédite pour celui qui la vit, on peut toutefois indiquer que l’homme qui aspire à la lumière en voulant devenir franc-maçon se dépouille dans une première épreuve, de son passé, de ses préventions, de ses préjugés, puis à travers une série d’épreuves subies au cours de voyages symboliques, s’ouvre à une autre réalité. La cérémonie d'initiation, avec son rituel, est vécue intensément à la fois par le groupe qui accueille et par celui qui reçoit l’initiation, expérience personnelle et spirituelle. Pour autant, l’initiation ne se résume pas à ce temps de réception du nouvel apprenti. Elle est un processus de redécouverte permanente qui l’accompagne tout au long de son parcours et de sa vie.

« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est chemin »

L’initiation, comme commencement, est une mise en route, le début d’un parcours que le nouveau Franc-maçon va accomplir avec l’aide de ses frères, mais en restant libre de sa démarche, responsable de son engagement, où la transformation vécue par l’initiation sera à la mesure de l’expérience humaine intime et spirituelle qu’il a vécue et qui l’a fait entrer dans une nouvelle vie. Un parcours exigeant, car comme l’écrit Sören Kierkegaard, « ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est chemin ».


L’initiation maçonnique est singulière car c’est un engagement volontaire. Il ne s’agit pas d’initiation sociale comme on en connaît dans certaines sociétés humaines, comme celle qui accompagne le passage dans l’âge adulte par exemple. Certes, il y a le plus souvent un peu de hasard dans le premier cheminement qui conduit le futur apprenti au seuil de l’initiation, une rencontre avec un frère, une curiosité ou une disposition générale par rapport à la philosophie maçonnique. Mais l’essentiel, c’est la réponse positive. Nulle initiation maçonnique n’est imposée. De même, personne ne peut s’auto-initier. La démarche est personnelle, intime mais elle a besoin du collectif. Rien d’étonnant alors si les Francs-maçons du XVIIIesiècle parlaient de cérémonie de réception plutôt que d’initiation. L’initiation est reçue. Elle est transmise. Entrer dans la confiance, entrer dans la beauté du rite et derrière cela entrevoir la beauté du monde, se laisser façonner par ce qui constitue une nouvelle vision du monde autour de beauté, force et sagesse, qui conduit dans l’amour sur le chemin de vérité, c’est bien la première dimension spirituelle de l’initiation.L’initiation permet de découvrir une autre réalité. L’univers qui nous entoure et dans lequel nous vivons est plus riche que la simple apparence que nous en voyions jusqu’à présent.


Une fois reçue l’initiation, il ne suffit pas pour le Franc-maçon de mettre quelques petits morceaux de spiritualité dans sa vie, pour se créer un confort moral et intellectuel. Il s’agit de spiritualiser sa vie. Cela veut dire être en éveil permanent, à l’écoute de l’univers et de ses frères, d’abord dans une étape de silence que le nouvel initié est invité à vivre comme une méditation pour le faire sortir de son ego bavard.

L'initiation donne à la fois la qualité de frère et la reconnaissance d'un sentiment fraternel. Les Constitutions d’Anderson posent comme règle fondamentale : « Vous cultiverez l’amour fraternel qui est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre confrérie ».Si on dit que c’est une quête, un cheminement, c’est la quête du perfectionnement de soi. Cela implique un déplacement de perspective. C’est une quête spirituelle, non dogmatique, avec des épreuves qui modifient ceux qui en font l’expérience.



« La Vérité n'appartient pas à celui qui la dit, ni même à celui qui prétend la détenir, mais à celui qui la cherche »

À la différence d’autres écoles spirituelles et philosophiques, il n’y a pas de maîtres et de disciples dans l’école maçonnique. L’Initiation au sein de la Maçonnerie propose une voie de réalisation personnelle au sein d’une fraternité et par elle. Elle repose sur cette évidence essentielle que, pour réaliser mon unité, l’expérience de l’autre me manque. Elle constitue un projet commun de réalisation de chacun.


Les Francs-maçonsfondentleur engagement sur un travail sincère de recherche. Le travail est une valeur fondamentale, c’est le socle de la démarche maçonnique, vécue dans la fraternité. Travailler, s’engager, vivre pleinement sa vie d’homme. Alors que le monde moderne critique beaucoup la valeur travail, pour lesFrancs-maçons, le travail est d’abord ouvrage, œuvre créatrice, ce n’est pas une punition. En cela, ils s’inscrivent dans la lignée des bâtisseurs. « La Vérité n'appartient pas à celui qui la dit, ni même à celui qui prétend la détenir, mais à celui qui la cherche ». Le travail intérieur est essentiel dans l’apprentissage de la fraternité, travail et devoir personnel, travail sur soi avant de s’extérioriser.

La pratique maçonnique s’inscrit aussi dans une longue fraternité qui traverse le temps ; c’est un travail de transmission, dans une longue chaîne fraternelle. Les Francs-maçons des siècles précédents travaillaient avec la même méthode que ceux d’aujourd’hui, selon les mêmes rites, se posant les mêmes questions fondamentales et intemporelles sur les mystères humains, sur la recherche de la vérité, de la sagesse, de la beauté, de la paix.

Dans leur quête, hier comme aujourd’hui, c’est cette même méthode progressive pour avancer dans la recherche, en s’appuyant sur un langage universel qui est le langage symbolique, langage universel des symboles de la construction, le compas et l’équerre par exemple ; outils des constructeurs,ils constituent des supports de réflexion, rectitude du fil à plomb, ouverture du compas, réunion de l’horizontal et du vertical dans l’équerre.

Travailler, réfléchir, approfondir le sens symbolique de ces outils et de tant d’autres est réellement formateur. Bien sûr il y a la dimension morale, mais tout de suite aussi une dimension philosophique qui invite à voir au-delà des apparences, des a priori, des préjugés, qui invite aussi à une dimension spirituelle et poétique, celle qui permet de dire l’ineffable.

À la différence du dogme ou de la vérité imposée, le symbole, qui est le langage commun, est un système ouvert, inépuisable de compréhension du monde. La pratique de la langue des symboles, langage universel et toujours en ouverture, permet d’éveiller la conscience fraternelle.

Nous prenons conscience que nous n’existons que dans l’altérité. Dans une société qui exalte la compétition, le Franc-maçon choisit la coopération. Chaque frère trace son chemin, construit sa voie, hors des systèmes et au sein d’une fraternité qui naît d’un commun pèlerinage.


La fraternité est le chemin de spiritualité


Mais cette fraternité vécue dans la Franc-maçonnerie est singulière. Elle n’est pas un entre-soi identitaire ou affinitaire, une fraternité de clan ou de tribu qui serait enfermement ou régression. Au contraire, cette fraternité a pour objectifs d’émanciper ceux qui en sont membres, de permettre à chacun d’accomplir son parcours de recherche de la vérité et de la sagesse. C’est donc une fraternité de cordée plutôt que de corde !


La fraternité, c’est sortir d’un individualisme, de l’ego pour comprendre que nous sommes reliés. C’est une fraternité de liberté où nous voulons le meilleur pour tous nos frères, fraternité assise sur la qualité de la relation entre les frères, faite d’amour et de bienveillance, d’empathie, d’écoute, de compréhension et d’émulation mutuelle pour progresser.

Cette fraternité que nous sommes appelés à vivre pleinement est un chemin de spiritualité. Vivre la fraternité, c’est reconnaître que l’autre est sacré, comme l’écrit l’auteur japonais Shusaku Endo, dans son roman Silence, “Le péché, ce n'est pas de voler et de mentir, c'est pour un homme de marcher brutalement sur la vie d'un autre, insoucieux des blessures qu'il laisse derrière lui“. Cheminer en fraternité vers la réalisation spirituelle, c’est aussi écouter la “musique“ de l’autre et, grâce aux symboles, communiquer de cœur à cœur et d’âme à âme.


La fraternité ne peut se limiter à un univers en deux dimensions. Elle s’inscrit dans une triangulation avec une troisième dimension spirituelle et transcendante qui donne le sens de la fraternité telle qu’elle est vécue dans la Franc-maçonnerie de tradition. Au-delà de sa dimension humaniste, elle s’ouvre aussi à tous les êtres vivants qui composent l’univers, comme en écho aux paroles des grands mystiques, à l’exemple de Saint-François d’Assise, qui fraternisent avec le soleil et la lune.

Moyen et but, la fraternité est un élan quotidien vers le bien, le bon, le beau et le vrai. Elle emporte dans une spirale, une chaîne d’union, fraternité de lumière et fraternité qui élève. Il faut comprendre cet engagement maçonnique, d’abord comme une fidélité aux serments et aux engagements qui, par l’Ordre, lient les frères. Cette fidélité est créatrice d’amour, la fraternité comme un a priori absolu de bienveillance pour celui qui devient mon frère par l’initiation. À chacun de se montrer digne de ses devoirs d’honneur et de loyauté.

C’est en cela que la Maçonnerie est un Ordre initiatique. Dans toutes les traditions du monde, les rites d’initiation sont des représentations symboliques de la mort, de la vie qui sont vécues dans une expérience inédite de découverte que protège le non-dit préalable.

L’expérience maçonnique doit être vécue en dehors de tout tumulte, à l’abri de l’écume des jours pour atteindre à l’essentiel. C’est à la fois une aventure intime et collective puisqu’elle s’accomplit dans la fraternité, en reconnaissant l’expérience de l’autre dans le projet commun que nous partageons.

Cette fraternité est au cœur du cheminement spirituel maçonnique.


Jean Dumonteil

Membre de la Grande Loge de l'Alliance Maçonnique Française

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