La démarche maçonnique recèle une ambiguïté fondamentale présente dès le XVIIIème siècle et qui s’exprime encore aujourd’hui sous la forme d’une divergence d’appréciation sur le véritable objectif de la démarche maçonnique
Est-ce le désir de voir la création d’un lien social sous son mode égalitaire et fraternel ou la fascination pour une démarche ésotérique essentiellement d’inspiration biblique visant à préparer la mutation existentielle dans l’orient éternel ?
Cette ambiguïté qui se satisfait d’un langage commun est souvent édulcorée et laissée à la libre interprétation de chacun ou chacune car cela arrange tout le monde en permettant une apparente unité.
Dans la réalité il y a en fait deux grandes écoles maçonniques :
celle, issue du compagnonnage, que l’on pourrait appeler l’école libertaire : elle souhaite s’affirmer dans le réel, le concret et le présent ; c’est elle qui s’est investit dans l’Europe des Lumières, des droits de l’homme et des conquêtes sociales ; c’est elle qui met en exergue le travail et le perfectionnement dans l’art et le geste ;
et celle, que l’on pourrait appeler l’école illuministe, qui s’investit dans une idéation plus ou moins délirante prenant la forme d’un transfert vers l’irrationnel ; c’est la franc-maçonnerie des Ragon, Martinez de Pasqually, Willermoz et d’autres.
Cette ambiguïté on l’a retrouve aussi dans une confusion entre la loge-atelier et la loge-temple :
la loge-atelier est le lieu de réunion situé près du chantier ; on est là pour se réunir, échanger, partager, réfléchir et élaborer une pensée commune, en un mot pour travailler !
la loge-temple c’est le lieu de la prière, de la méditation, de l’adoration ! Dans un temple on ne travaille pas, on ne pense pas, on prie ! Il y a même des temples où il est interdit de se tutoyer : on se vousoie mon cher ou ma chère !
Historiquement, c’est la loge-atelier qui constitue l’originalité de la franc-maçonnerie. Mais progressivement par petites touches et pour des raisons plutôt politiques, c’est la loge-temple qui se voit « magnifier » ; le temple à travers les rituels favorise la mainmise des institutions et en particulier des obédiences qui imposent un mode de fonctionnement où le débat en loge se trouve proscrit, le travail se résumant dans un catéchisme !
L’histoire montre des variations dans la mise en exergue de l’une ou l’autre démarche ; chacune ayant aussi des variantes selon les pays, les obédiences, les circonstances politiques et les êtres humains ! Les rituels ont été sophistiqués sous l’influence de l’école illuministe qui règne sur les « hauts » grades mais dans bien des loges les rituels ont perdu leur sens pour ne jouer qu’un rôle secondaire et formel.
Cette ambiguïté est aussi intrinsèque à l’engagement de chacun d’entre nous selon nos velléités et nos humeurs. Chacun sait que les francs-maçon(ne)s sont plutôt des individus pragmatiques, plus orientés vers les réalités que vers des élucubrations ; mais pour certains, cela donne une certaine jouissance d’assister à une belle cérémonie même si on n’y comprend pas grand-chose ! Et puis les obédiences adorent les grandes messes, sans parler du commerce des grades et des cordons qui est toujours valorisant !
La démarche maçonnique n’a pas stricto sensu besoin de temple ; par contre elle ne peut se concevoir sans loge-atelier !
Il arrive même que certaines obédiences n’aient plus de loges-ateliers pour les avoir transformées en temples ! On voit aujourd’hui des « loges » où les échanges n’existent plus et les travaux se résument à l’adoration d’un rituel !
Cette ambiguïté est stérilisante et entraîne de faux débats qui n’en finissent pas et qui mènent à rien ! Le monde aujourd’hui comme au XVIIIème siècle a besoin d’intelligence, de travail et de réflexion dans un esprit ouvert, tolérant et innovant.
Il est dommage de voir toute cette énergie perdue dans une pratique qui n’apporte rien si ce n’est le plaisir d’y faire joli ! On peut comprendre que le cérémonial ait de la « gueule » mais exclusivité du formalisme tue la réflexion !
Sachons remettre le temple à sa vraie place tout en redonnant un sens au travail en loge fidèle aux initiateurs de cette franc-maçonnerie du lien social qui a aussi séduit les philosophes et les inventeurs du progrès !
Ps : voir aussi le billet de Roger Dachez sur Pierres vivantes intitulé « Une équivoque féconde : la Loge et le Temple ».
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