André Kervella nous propose avec ce titre « Kadosh, francs-maçons templiers » un décryptage d’une période de l’histoire de la franc-maçonnerie. Ce n’est pas à proprement parler une étude du symbolisme de ce grade présent dans différentes rites maçonniques dont le Rite Ecossais Ancien et Accepté, même s'il est fait allusion à certains symboles de ce grade.
Le récit couvre la période allant de 1743 à 1804, soit la deuxième moitié du 18ème siècle, principalement en France. Cette période est fondamentale pour comprendre le « terreau » duquel émergera le rite écossais ancien et accepté en France avec la création le 27 octobre 1804 de la Grande Loge Générale Ecossaise.
On peut légitimement admirer le travail d’André Kervella ; de façon minutieuse avec des noms, des références et des explications claires, il retrace les modalités de l’émergence de la dynamique « Kadosh ». Il est vrai que l’auteur a prouvé, par ses nombreuses éditions, la rigueur avec laquelle il réalise ses travaux historiques. Cette rigueur évacue les médiocres divagations pseudo-symboliques de certains maçons pseudo historiens et c’est intellectuellement revigorant !
Ce récit n’est pas facile à suivre et le lecteur aura intérêt à prendre des notes pour pouvoir saisir toutes les occurrences et suivre le déroulement des faits.
L’introduction situe bien les enjeux et l’évolution de la perception de ce grade. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de proposer une réflexion sur le jugement que l’on peut porter quant aux motivations des créateurs de rituels et la réappropriation qui peut en être faite plusieurs siècles plus tard. Il en déduit que « Même dans un ordre qui se dit traditionnel, qui fait donc de la tradition sa gloire et son moteur, l’amnésie involontaire ou provoquée semble inéluctable. »
André Kervella va même jusqu’à régler quelques comptes avec d’autres auteurs, non cités : «Les colloques et magazines abondent en fables diverses sur des événements qui n’ont jamais eu lieu. »
Certaines formules mériteraient d’être « sanctuarisées » :
« Quoiqu’en pensent les intégristes à la truelle, doublures de leurs modèles en religion, on n’interprète pas les rituels d’initiation comme autrefois, ni les finalités d’une quête spirituelle, ni les devoirs d’un citoyen à l’égard de lui-même et d’autrui. »
Une autre citation mérite son pesant d’or de « sagesse » :
« Une bizarrerie hypothèque trop souvent les travaux sur ce genre de sujet, au sens où certains maçonnologues, selon un titre qui ne veut pas dire grand-chose, pensent que l’histoire des rites ou des grades maçonniques s’explique presque exclusivement par des considérations intellectuelles déconnectées de l’événementiel. »
En seize chapitres, l’auteur, en s’appuyant sur des documents historiques, met en scène les protagonistes et parmi de nombreux noms, les cinq premiers :
Le comte René-François-André de La Tour du Pin La Charce (1715-1778)
Charles-Claude Andrault de Maulevrier, Marquis de Langeron (1720-1792)
Charles de Pomayrols ( ?-1750)
Pierre-Pie de Goudal, chevalier de La Goudalie (1713- ?)
Jean-Frédéric La Tour du Pin
François de Salleton
Ces cinq premiers noms, tous aristocrates engagés dans l’armée, s’inscrivent dans ce que l’on pourrait appeler le parti pris en faveur des Jacobites d’une partie de l’aristocratie française. Cette influence du Jacobitisme n’est pas le sujet mais il apparaît en filigrane comme une clé pour comprendre un engagement.
Rappelons que le Jacobitisme, en qualité de mouvement politique, qui dura de 1688 à 1807, rassemblait les partisans de la restauration de la dynastie des Stuart, avec Jacques-François Stuart (1701-1766), fils de Jacques Stuart (1633-1701), Roi d'Angleterre sous le nom de Jacques II et Roi d'Ecosse sous le nom de Jacques VII, écarté du trône après le décès d'Anne de Grande-Bretagne et l'avènement de George de Hanovre en vertu de l'Acte d'Établissement.
A ce propos, on lira avec profit un article des Annales de Guy Chaussinand-Nogaret intitulé «Une élite insulaire au service de l'Europe : les jacobites au XVIIe siècle ».
André Kervella explique bien comment la volonté de reconquête des partisans du fils de Jacques-François Stuart, Charles-Edouard Stuart (1720-1788), surnommé « The young Chevalier », et les dramatiques événements qui ont émaillé son éloignement du trône, ont pu inspirer l’écriture du rituel de ce grade de Chevalier Kadosh.
L’acte de naissance de ce grade de Chevalier Kadosh de l’Ordre Sublime de Chevaliers Elus est situé par l’auteur au printemps 1747, « entre le 20 mars et le 5 juin ».
Une des préoccupations d’André Kervalla est d’exposer les motifs de la querelle qui a abouti au décret du 21 septembre 1766 pris par Jean-Pierre Moet (1721-1806), Président de la première Grande Loge de France, interdisant le grade de Chevalier Kadosh pour « préserver nos frères de la contagion de ces grades dangereux, que le fanatisme et la trahison ont imaginé de concert, pour masquer la pureté de nos Mystères avec les affreuses livrées du crime et de la rébellion.»
René Kervella explique la suite des événements et la réintégration du grade de Chevalier Kadosh par les nouvelles instances du Grand Orient de France qui succéda en 1773 à la première Grande Loge de France, tout cela dans un climat de suspicions et de clans fratricides.
L’intérêt de cet ouvrage est d’illustrer, preuves à l'appui, l’influence du contexte politico-social européen du XVIIIème siècle sur la formation des rites maçonniques !
On en arrive à la conclusion que la Franc-Maçonnerie des hauts grades n’est qu’une déviance du rite initial à deux puis trois degrés, principalement motivée par la volonté de constituer des réseaux d’influence. Ne peut-on pas en déduire que, dès son origine, ces « side degrees » ont eu vocation à instrumenter les loges bleues ?
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Kadosh – francs-maçons templiers – CKS
Auteur : André Kervella
Editions Numérilivre – juin 2021 – 360 pages – Prix : 24 €
Table des matières :
Introduction
Genèse
Rites sur scène
Ordo ab chaos ?
Basculement
Fastes et inspections
Topographie du sommet
Bipolaires
Conseils suprêmes
Capitale de la Province
Au creuset d’Heredon
Avis contraires
L’échelle de Jacob
Aigle blanc et noir
Hémoglobine
Sources amères
Détour américain
Conclusion : les paradoxes de la perfection
Index
Sources
Biographie de l'auteur :
« Docteur d'État es Lettres, André Kervella a exercé aux ministères de la Défense, de l'Éducation, des Affaires étrangères. Entre autres, il a rempli des missions de longue durée auprès de gouvernements africains ayant des accords de coopération avec la France. Vénérable Maître en exercice de la Loge du Grand Orient de France Pléias, à Brest, André Kervella est franc-maçon depuis 1991. Ancien Maître de Conférences, puis Expert International pour l'Enseignement Supérieur, il a eu l'occasion d'exercer à plusieurs reprises des fonctions de Conseiller ministériel en Afrique. Retraité en 2016, il consacre la plupart de son temps à des recherches historiques et philosophiques. Ecrivain prolifique et très connu en France, il a écrit plus d'une quinzaine de livres, depuis Aux origines de la franc-maçonnerie française 1689 jusqu'à 1717 l'histoire volée des franc-maçons en passant par La Passion Ecossaise et Le Chevalier de Ramsay : une fierté écossaise. Il fut le premier à mettre en lumière l'influence des Stuart et des exilés jacobites dans la franc-maçonnerie française du XVIIIème siècle. Axes de recherche La franc-maçonnerie jacobite : genèse, essor et influences. L'émergence des hauts grades, en particulier ceux dits Ecossais. La franc-maçonnerie française au siècle des Lumières L'épistémologie de l'histoire. »
Sources : Objectif Plumes
Autres livres d'André Kervella :
Pour aller plus loin
par Bernard Pateyron, Maurice Weber et Pierre Germain
- L'histoire du grade de Chevallier Kadosh par le Vén. F. N. B. de la loge de recherches Ars Masonica de Bruxelles,
- Du Chevalier d'Orient au ... Chevalier Kadosh, étude du quinzième au trentième degré du REAA par Jean-Claude Mondet, Editions du Rocher
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