Une nouvelle approche du symbolisme :
Le concept d'"Univers symbolique protecteur"
Classiquement et pour la compréhension courante le symbole est une image, un outil ou un objet auquel un groupe humain attribue une valeur morale et qui est censé constituer un élément de langage commun destiné à rassembler celles et ceux qui s'y réfèrent, généralement dans le but de les rendre meilleurs tant sur le plan humain que moralement et socialement.
La plupart des religions, les différents mouvements ésotériques et les mouvements politiques utilisent ainsi un certain nombre de symboles qui peuvent leur être propres ou communs. Ainsi en est-il aussi pour les obédiences maçonniques.
L'utilisation des symboles est généralement destinée à exalter les valeurs morales, à favoriser la cohésion sociale et la paix.
Cette lecture classique de l'utilisation des symboles mérite cependant un examen critique.
Comment expliquer que le recours au symbolisme n'empêche pas la persistance d'attitudes perverses, de conflits inter-personnels, voire de conflits armés et de violences de toutes sortes ?
Et pourtant au fil des siècles, tout au long de l'histoire de l'humanité et aujourd'hui encore, dans notre monde par bien des côtés si matérialiste, les êtres humains ont toujours eu besoin et recours à une utilisation des symboles pour lesquels ils témoignent d'un véritable attachement.
Pour essayer d'expliquer cette apparente contradiction, on doit se référer à une autre approche du symbolisme que l'on pourrait intituler le concept d'Univers Symbolique Protecteur.
Cette réflexion se nourrit des connaissances accumulées dans la pratique professionnelle des soignants. Elle est aussi influencée par les contacts avec les autres cultures .
Pour vous exposer ce sujet de planche, j'aborderai successivement :
le recours au symbole et l'irruption de la pensée symbolique dans le fonctionnement psychologique de la pensée humaine ;
les principaux symboles de protection ;
le concept d'univers symbolique protecteur.
I - Le recours au symbole et l'irruption de la pensée symbolique dans le fonctionnement psychologique de la pensée humaine
Dans son ouvrage "La formation du symbole chez l'enfant" écrit en 1945, Jean Piaget décrit ce moment décisif du développement cognitif de l'enfant quand apparaît cette capacité de symbolisation. Piaget a étudié les différents stades du développement de l'enfant et il postule que les premières réalisations imaginaires se réalisent à partir de deux ans ; mais on pourrait dater le processus plus précocement en faisant référence au stade du miroir décrit par Henri Wallon dans les années 1920 et théorisé par Jacques Lacan en 1936 où l'enfant entre 6 et 12 mois prend conscience de son image. En fait le processus est très progressif tout au long de l'enfance où se fixent certaines constructions de l'imaginaire faites d'images, de couleurs et de sons. Il semble que cette capacité à avoir recours à la pensée symbolique soit la principale différenciation entre l'être humain et l'animal.
Le symbole implique la représentation d'un objet absent ; pour que l'enfant ait accès au jeu symbolique il faut qu'il puisse utilisation de la représentation de l'objet absent.
Le symbole induit une comparaison entre un élément donné et un élément imaginé qui produit une représentation fictive ; l'enfant y prend plaisir quand il a commencé à se différencier de sa mère.
Le jeune enfant choyé et aimé trouve sa sécurité affective d'abord près du sein maternel et ensuite dans les bras de son père. Dans le vécu de la petite enfance, le premier sentiment d'insécurité nait à la suite de l'éloignement maternel consécutif aux obligations de la vie quotidienne ; tout se passe comme si l'enfant acceptait cet éloignement maternel en le compensant par l'utilisation de la pensée symbolique et l'émergence de symboles maternels qui lui seront propres ; il en sera de même pour l'éloignement paternel.
Ces deux piliers de la sécurité affective de l'enfant que sont ses attachements maternel et paternel se trouvent ainsi perpétués malgré l'éloignement physique par des images symboliques au contenu similaire. Ces images symboliques ne restent pas virtuelles, confinées dans l’inconscient ; elles se retrouvent dans l’environnement du sujet sous forme d’images artistiques, de photographies, d’objets décoratifs voire d’objets religieux.
A titre d'exemple, des travaux ont mis en exergue que le soleil et la maison étaient les deux images symboliques le plus souvent retrouvées : le soleil symbolisant une image paternelle et la maison une image maternelle.
Pour les enfants victimes d'une relation perturbée avec la mère, le père ou les deux, toutes les situations sont possibles : de la création d'un substitut maternel ou paternel au sentiment d'abandon en passant par des situations instables affectivement ; la construction d'images symboliques assurant une sécurité affective s'en trouvera durablement perturbée même si des processus compensatoires peuvent prendre le relais.
Pour en rester au sujet de cette planche, on voit bien qu'il y a un lien fort entre la capacité d'avoir recours à la pensée symbolique et la recherche constante d'une sécurité affective qui seule permet à l'enfant de se construire en tant qu'adulte. Qui dit sécurité affective sous-entend besoin de protection ; ce besoin est variable selon l'histoire personnelle de chacun ; cette protection est naturellement assurée par le recours aux symboles maternels et paternels lorsque ceux-ci ont pu s'incorporer dans la pensée symbolique de l'enfant.
Pour l'enfant, exister et grandir ne sera bienfaisant et joyeux que s'il se sent en sécurité affective avec les piliers parentaux. Ce processus est fondé sur la capacité de l'enfant à se construire un imaginaire rassurant ; il le fait en s'appropriant des images qui sont de deux types : soit la représentation d'objets réels soit la création d'images n'ayant aucun rapport avec le réel. Dans ces images qui peuvent être statiques ou en mouvement, les formes et les couleurs sont signifiantes.
Les difficultés d'adaptation et d'apprentissage des enfants renvoient aux empreintes psychologiques survenues à la suite des expériences de séparation affective et à l'incapacité à s'approprier les substituts symboliques correspondant aux piliers parentaux.
En conclusion de cette première partie, il est clairement établi :
que la pensée symbolique apparait dès l'enfance et est une composante essentielle de la pensée humaine
que cette pensée symbolique est en relation intime avec l'équilibre affectif de l'adulte en devenir
que le recours à l'utilisation des symboles est permanent, universel et liée à la sécurité affective de l'individu
que l'un des thèmes majeurs du recours à la pensée symbolique a trait au besoin de protection.
II - Les principaux symboles de protection :
Ils sont très nombreux et sont la plupart du temps utilisés inconsciemment ; ils permettent de se protéger de l'insécurité affective ne serait-ce que d'une façon ponctuelle lors des crises d'anxiété ou d'angoisse liées à la solitude douloureusement ressentie. Ils sont intégrés dans leur environnement culturel et/ou religieux.
Croyants ou incroyants : à chacun son symbole !
1/ Le parapluie et le parasol :
Les premières utilisations du parapluie en tant que symbole , remontent aux premiers Egyptiens pour qui cet objet fabriqué avec art à l'aide de papyrus et de plumes de paon représentait la déesse Nut , déesse des cieux dont le corps formait une sorte de pont au-dessus de la terre ; l'ombre formée par l'un de ces parapluies était sacrée et seuls les nobles pouvaient en profiter.
Si l'ombrelle est un symbole solaire, le parapluie est généralement associé à l'ombre, au repli sur soi et symbolise le besoin de protection et la crainte de la réalité.
En Asie, le parasol est un symbole royal assimilé au pouvoir céleste : le dais représente le ciel, son manche, l'axe cosmique auquel s'identifie le souverain.
Assimilé au parasol, le baldaquin musulman est en rapport avec le Paradis.
2/ Le fer à cheval :
C'est devenu un classique porte-bonheur dont l'origine remonte à l'empire romain : on dit que cette fonction n'st possible que s'i a été forgé à la main et qu'il possède sept trous.
3/ Les gargouilles :
Objets d'architecture utilisés pour évacuer l'eau des toits des églises à partir du XIIè siècle, ce sont de puissants symboles de protection source d'inspiration pour les maçons opératifs ; les gargouilles étaient les gardiens du Bien et par extension des églises ; leur aspect terrifiant rappelait à l'hérétique non-chrétien que la protection divine était déjà sur le bâtiment ; la légende raconte que les gargouilles hurlaient dès l'approche du Mal qu'il soit visible ou invisible.
4/ Le lierre :
Symbole de protection pour les femmes avec son feuillage toujours vert, symbole d'éternité.
5/ Le nombre 7 :
Il assurerait la protection contre la mort. Il est très présent dans le Coran.
6/ Le manteau :
Qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige, le manteau assure la protection nécessaire pour affronter les intempéries ; dans les rêves il représente la sécurité affective des amis ou de la famille.
7/ Les seins :
Mamelles de la femme, ils sont les symboles de la maternité ; associés au stade oral, les seins, figurent le lieu de refuge et de protection que constitue le giron maternel où l'enfant viendra naturellement se nicher d'où l'appellation des nichons.
8/ La couleur Bleue :
Couleur divine, elle véhicule les notions d'immortalité, l'inaccessibilité, le merveilleux.
9/ La couleur verte :
Couleur de l'harmonie, de la régénération et de l'espérance.
10/ La Khamsa ou main de Dieu :
C'est un des rares symboles utilisés aussi bien par les chrétiens, les musulmans (surtout chiites) que par les juifs.
11/ Les symboles de protection dédiés : Il s'agit de supports variés pour lesquels un intervenant agissant comme medium affecte un contenu symbolique visant à lui conférer un pouvoir de protection.
a) Les talismans ou amulettes : ce sont des objets très simples, de différents matières, sur lesquels sont gravés des symboles : le plus utilisé semble être le pentagramme, et qui assurent une fonction de porte-bonheur ou de protection contre les mauvais esprits.
b) Les pentacles : si les talismans sont plus personnels, les pentacles sont plus anonymes ; les plus connus sont les pentacles utilisant le caducée de Mercure ou la Svastika qui en magie blanche symbolise l'image de longévité.
c) Les gris-gris : D'une manière générale, comme l'écrit Paul Hazoume, "Le gri-gri est un symbole que la foi rend efficace" ; il se porte sur soi, peut être placé à un endroit précis ; dans la pensée animiste son action peut être bénéfique ou maléfique.
Dans la pratique religieuse catholique, la Mère Marie et certains saints sont très souvent évoqués pour rechercher une protection.
En Islam, la tristesse et l'angoisse provoquées par la solitude affective sont interprétées comme l'œuvre de Satan ; la protection sera recherchée par la récitation d'une sourate ; dans ce cas on voit bien que c'est l'écrit qui est symbole de protection.
12/ Les symboles de protection en loge maçonnique :
Comme nous sommes au Ier degré, limitons-nous à l’essentiel :
La première image symbolique qui marque le nouvel initié et qui conditionne le bon déroulement d'une tenue maçonnique est sans conteste la personnalité du VM qui a tous les attributs de l'image paternelle.
Au premier degré le VM est un symbole vivant qui ne peut manquer de nous renvoyer à notre propre histoire personnelle et à l'image symbolique paternelle que nous avons en nous. C'et d'ailleurs, à mon avis, une des difficultés à surmonter pour assurer un bon fonctionnement d'une loge.
Le tablier et les gants sont également des symboles de protection tout en symbolisant aussi d'autres valeurs.
Le couvreur est également un symbole vivant ; c'est lui qui nous protège pendant nos travaux.
Pour chacun d'entre nous, notre parrain est, normalement, notre protecteur naturel.
La loge maçonnique, elle-même, est souvent perçue par les postulants comme un symbole de protection.
III - Le concept d'univers symbolique protecteur.
L'étude du symbolisme est une activité passionnante qui renvoie à de nombreuses approches selon que l’on soit athée, agnostique, religieux non pratiquant, mystique ou sectaire.
J'ai souhaité utiliser une approche psychologique objective qui permette de comprendre notre attirance pour les symboles et qui permette aussi d'entrevoir leur utilisation de manière plus rationnelle.
Après l'analyse du processus qui amène chacun d'entre nous a avoir recours aux symboles et après avoir évoqué les symboles utilisés pour conforter notre besoin de protection, abordons le concept d'univers symbolique protecteur.
Ce concept est directement issue de ma pratique médicale dans la mesure où il s'agissait pour moi de mieux traiter un certain nombre de psychopathologies qui tout en n'étant pas des maladies à proprement parler provoquaient un mal-être et une souffrance non apparemment justifiés par des conditions de vie particulières.
Bien sûr, on retrouvait souvent dans l’enfance de ces patients la notion d'insécurité affective, de ruptures voire d'abandon. En comparant ces vécus à ceux de personnes moins concernées par les symptômes d'insécurité affective, il est possible de se rendre compte que des traumatismes psychologiques vécus dans la petite enfance peuvent compromettre l'élaboration d'images symboliques maternelle et /ou paternelle et ainsi rendre beaucoup plus vulnérables ces individus à la problématique de l'insécurité affective.
Ma conviction fut que tout se passait comme si ces personnes n'avaient pu s'approprier les images symboliques paternelles et/ou maternelles qui constituent un univers symbolique protecteur efficace de sorte qu'elles étaient facilement déstabilisées par une modification parfois minime de leur environnement.
Globalisant la réflexion, il m'a semblé que chacun d'entre nous, nous nous étions appropriés au cours de notre enfance un certain nombre d'images symboliques dont certaines pouvaient être reliées à l'émergence de la pensée symbolique productrice de substituts symboliques aux piliers parentaux ; ces images ont été, généralement inconsciemment, incorporées dans notre environnement de façon bien réelle ; c'est l'ensemble de ces représentations qui constituent ce que je nomme notre univers symbolique protecteur ; bien sûr il est très personnel même s'il s'agit de symboles culturels car leur contenu affectif est naturellement unique du fait de son rapport au vécu du sujet. Les images symboliques paternelles et maternelles qui constituent l'univers symbolique protecteur jouent leur rôle bienfaisant en étant constamment présentes sous une forme ou sous une autre dans l'environnement immédiat du sujet.
Cette réflexion entraine trois conséquences principales :
le bien-être et la capacité d'adaptation sont directement liés à un univers symbolique protecteur efficace et présent dans l'environnement du sujet en question ;
a contrario, le mal-être et l’insécurité affective peuvent être compris comme la conséquence d'un univers symbolique protecteur inefficace
dans cette éventualité d'un univers symbolique protecteur inefficace, il est possible d'essayer de l'améliorer en accompagnant le sujet dans une réappropriation de symboles destinés à lui apporter un univers symbolique protecteur plus pertinent. Cela peut se faire par l'utilisation d'une psychothérapie particulière, adaptation de l'art-thérapie.
Par ailleurs et pour revenir aux interrogations de l'introduction, on voit bien que, dans une approche que l'on pourrait appeler de profane, la véritable fonction du symbolisme, c'est d'abord de nous mettre en relation avec un processus très intime lié à nos affects. La fonction de communication et celle d'exaltation des valeurs morales m'apparaissent finalement conditionnées à un dépassement de la problématique affective.
Enfin, contrairement à ce qui est souvent énoncé dans ces lieux, il me semble que l'attrait pour l'utilisation des symboles constitue d'abord une demande psychologique !
Est-ce à dire qu'il est illusoire d'attendre de l'utilisation du langage symbolique en loge et ailleurs une amélioration des rapports sociaux, une amélioration de la paix et de la cohésion sociale ? Je ne suis pas loin de le penser.
Si la franc-maçonnerie se veut un apprentissage d'une méthodologie de la connaissance de soi, elle ne peut faire l'impasse sur les préalables psychologiques indispensables à la mise en œuvre de cet apprentissage ; la connaissance et l'évaluation de nos univers symboliques protecteurs dans l'intimité de notre recherche initiatique pourrait nous permettre :
d'une part de mieux utiliser les symboles pour mieux nous protéger
et d'autre part faciliter les autres utilisations du symbolisme dans notre travail de connaissance de nous-mêmes.
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